Juillet 2008. Facebook : Vous avez un nouveau message. C'est en sirotant un verre de jus d'orange, que j'ouvre négligemment ce mail. Un peu comme on beurre ses toast le matin, la tête encore pleine de nuages de la nuit précédente. Un geste routinier. Sans conséquence. Enfin, c'est ce que je croyais.
« Salut cousine ! Car oui, nous sommes cousin. A la recherche de tous les Abrial sur le net. Parles moi de toi. Bises. » En deux trois clics, je me retrouve sur son profil. La trentaine, marié, au service communication d'une grande entreprise à Londres. C'est plus pour être poli qu'autre chose que je répond ces quelques lignes sans saveur. « Moi, c'est Maëlle. 20 ans. Etude de communication à Lyon. C'est marrant cette quête de nos origines, alors tu nous a trouvé du sang bleu? » Et puis, de fil en aiguilles, sans en avoir l'air, sans s'en rendre compte, des liens se tissent. Des points communs, des rêves et des peurs partagées. Tellement inattendu, tellement fou. Des heures passées sur le chat a partagé des fragments de vie. Moi ici, lui là bas. Il me parle d'elle, de comment il se sont rencontré, de ses blessures d'enfant qu'elle a su faire taire. Je lui parle d'eux, ces hommes interchangeables qui passent dans ma vie, emportant à chaque fois un bout de mon coeur, comme des voleurs. Et puis de lui, qui vit encore un peu trop fort en moi. Dans ces échanges de longs monologues intimistes, on s'apprend, on se délivre du poids de la vie. Lui, un peu trop enlisé dans la routine, moi perdu dans les méandres de la vie. On trouvait l'un en l'autre un endroit tendre et doux où se réfugié, où fuir la réalité, où exister autrement. On a connu des hauts et des bas, comme tout un chacun. On s'interrogeait sur ce qu'on était, sur ce qu'on valait. Sur l'intérêt de continuer. Il m'a dit « Je t'aime » un soir dans le noir. Je l'ai envoyé chier. Lui ai reproché de jouer. D'être marié. De ne pas savoir ce qu'il disait. Je me suis sentie un jouet entre ses doigts. Un passe temps amusant. Je l'ai traité de fou, d'irresponsable. Lui ais ordonner d'arrêter de faire l'enfant! Après une envolée de reproches amers, une tripotée de paroles tranchantes dont on ne pensait pas un traitre mot, le calme est revenu. Et la vie a continué. Tranquillement. Tendrement.
Et puis je me suis offert quelques jours d'ailleurs. En Irelande. Pour y voir un ami de longue date. Un peu sur un coup de tête, sans m'en penser capable, Fabien m'a demandé de faire un détour par Stanted, l'aéroport de Londres. M'arrêter, pour partager un café. Et la vie. Il posera sa journée, fera 2heures de route. Ça ne sera qu'un petit mensonge pour celle qui partage sa vie. Sans conséquence. Je suis du genre, spontanée, impulsive. Parfois mes envies sont mes seuls guides et advienne que pourra. Ce fut le cas cette fois là.
Mars 2009. 15h15. Quelque part au dessus de Londres. Mon avion s'apprête à atterrir. J'ai peur. Durant le voyage, je me suis perdu dans la blancheur des nuages. De la barbe papa. Des oeufs à la neige. De la crème chantilly. Ça donnait envie de soleil et d'arc en ciel. Ça donnait envie de sourire. Mais maintenant j'ai le ventre qui se sert de ne pas savoir de quoi seront faite les prochaines heures.
Me voilà à la douane, plus que quelques pas et nous seront réunis. Dans la vraie vie. Ça me terrifie tout autant que ça me ravie. Il est là, il me souris. Un bref bonjour, content de te voir, une accolade, comme entre vieux amis. Et nous voilà parti pour un lieu plus personnel, plus cosy. A ma grande surprise, on trouve rapidement un bar lounge, à la décoration très pure, très aéré. J'adore. Il m'offre un jus d'orange. Puis un livre. Catcher in the rye de Salinger. Une histoire d'enfant qui ne veut pas grandir. En anglais évidemment. J'en ais un pour lui aussi. Falaises d'Olivier Adam. Une histoire de mère qui saute d'une falaise. L'histoire de sa vie. Au départ, on un peu tendus, maladroits, patauds. Et puis les langues se délit, les rires se lient. Il nous commande du champagne. Histoire de me voir devenir écarlate. Histoire d'arroser notre rencontre. L'alcool fait doucement son effet. Je me sens plus légère. Les rires et les anecdotes s'enchaînent. Les coupes de champagne aussi. Je me sens tellement bien. Vous savez ces moments où vous vous sentez capable de tout. Où vous avez le sentiment d'être à votre place. Ou la vie et les envies débordent en vous. Un envie d'abandon, de folies, de liberté.
Au bout d'une heure, une dame en justaucorps est venu me le subtiliser. Une stupide danseuse qui descendait et montait à l'intérieur de la tour en verre situé au centre du bar. Il ne la regardait que pour m'agacer. Et ça marchait. Nous n'avions que quelques heures. Je le voulais tout à moi.
Les heures suivantes ont filé sans que j'ai eu le temps de les compter. Il m'a accompagné à l'embarquement. On s'est dit Au revoir. Je m'en suis allée. Sans me retourner. Depuis lui*, je ne me retourne plus. Les deux heures de vol qui ont suivie, ne furent que magie. Admirer la ville illuminée tout en me laissant bercer par les souvenirs de ce fantastique après midi.
Séjour en Irelande tout aussi grandiose. Mes journées parsemés de mots de lui. « Pas besoin de te mettre entre moi et la fille qui faisait sa gym dans son bocal. Elle, je ne la voyais qu'avec les yeux ».Ce cher petit prince. « Envie de te revoir ». Envie partagée. « Chasing car » qui me prend à la gorge sans prévenir, très 'mainstrean' notre chanson ici.
Mai 2009. Tours. Une fête organisé par un ami d'enfance au bord de l'eau. Il m'a proposé de l'y accompagner. Ce n'est pas tous les jours qu'il séjourne en France. C'était un projet complètement fou. Irréel. Irresponsable. Mais après tout, on a qu'une vie non? Comme si ça n'était pas assez dingue, on s'est rejoint à Paris. Lui en Euro star. Moi en train. Et on a fait le trajet jusqu'à Tours ensemble. Vitres grandes ouvertes, cheveux au vent et musique à fond. 2H30 de pur bonheur. Arrivés là bas, le gîte était magnifique. Grande piscine et un jaccouzi. Week end de folie en prévision. On se refait une beauté avant la fête. Il porte une chemise verte. Comme ses yeux. Il me regarde dans ma longue robe blanche et me murmure à l'oreille que je suis à tomber. Je rougis et oubli. On passe une soirée inoubliable. Mélange d'alcool, de danses endiablés, de batailles d'eau, de fous rires. De vrais enfants.
Et puis, voilà que retenti « Heroes » de Bowie. Une de ses chansons fétiches.
'We could steal time
Just for one day
We can be Heroes
For ever and ever
What d'you say'
Il m'invite à danser et me chante doucement les paroles, sa bouche à quelques centimètres de la mienne. Je le déteste si fort. On ne peux pas . On n'a pas le droit. Je croyais pourtant avoir été clair. Mais à quoi il joue ? Pourquoi toujours venir réveiller l'impossible dans mon coeur. La manche et 15 ans nous sépare. A quoi joue-t-il encore ? Je le hais. Il sent que ça ne va plus très bien. Que je perd un peu pied. Il prend ma main et m'attire à l'extérieur. Main dans la main, on s'allonge dans l'herbe humide. Les étoiles pour seules spectatrices. Je me calme. Leur lueur m'apaise. Je me laisse aller et je resserre mon étreinte. Que c'est bon d'être là. On parle un peu. De tout et de rien. Il me remercie d'être venu. Et puis, sans prévenir, dépose ses lèvres sur les miennes. Je me sens happer de toute part. Comme si c'était ce que j'avais toujours attendu. Sans jamais oser me l'avouer. De baiser en baiser, on s'envole de plus en plus haut. Nos corps se conjuguent à la perfection. Je ne me suis jamais sentie si bien. Le tourbillon qui m'emporte est bien trop fort pour que j'esquisse le moindre geste contre lui. Nos corps se disent les mots qui n'ont jamais oser dépasser nos lèvres. Et plus encore. Ce sera notre secret. A nous et aux étoiles.
Le lendemain arrive trop vite. Il doit retourner à Londres. Le travail l'attend. Il me fait milles serments d'amour. Me jure qu'il a envie de tout ça depuis l'aéroport, en mars. Que ce jour là, il aurait bien posé sa tête sur les mètres carré de peau douce que laissait entrevoir mon décolté. Qu'il avait eu envie de saisir mes lèvres. De s'en abreuver. Mais qu'un vieux qui embrasse une jeunette dans un bar, ça faisait trop cliché. Que ça aurait tout gâché.
Juin 2009.Nul part entre le vide et le rien. Comment fait-on pour oublier ? Pour ne plus penser ? Pour ne plus pleurer ? Pour tout effacer ? On avait fait plein de projet. On y croyait. On rêvait les yeux grands ouverts, comme deux enfants. Mais je n'ai plus qu'à jeter tout ça à la poubelle. Et mon coeur avec.
Elle est enceinte.
Au début, tu as dit que ça ne changeait rien. Peut-être pour toi. Mais pour moi, ça change tout. Tout. Je n'ai pas le droit de t'arracher à ce bonheur. Qu'est-ce que j'ai à t'offrir qui vaille la peine que tu bousilles tout ça? Je ne suis qu'une enfant avec des rêves trop grands pour elle. Je suis une erreur. Ton erreur.
Alors, je m'efface de ta vie. Sois heureux. Putain, que ça fait mal. Je ne garde de nous que ces quelques heures passées ensemble que l'on a volé à la vie, qui tourne malgré nous. Je ne t'oublierai jamais. Je t'aime.